Cela fait quelques années que Mathieu Serradori progresse en rallye-raid avec une réelle montée en puissance sur sa dernière monture. Comme nous vous l’avions promis avant le Dakar, c’est à elle que nous nous intéressons maintenant.
Après un buggy Predator X14 et un LCR 30, Mathieu Serradori est passé en 2019 sur une fusée : le CR6 construit par Century Racing. Avec les résultats que l’on connait, tant cette machine lui donne des ailes… Grâce au pilote varois, nous avons pu faire la connaissance de Julien Hardy, concepteur de ce véhicule sud-africain.
Century Racing a déjà fabriqué une trentaine de voitures dont près de la moitié sont des CR6. Ce modèle n’est pas figé, il progresse à chaque course ! Sa conception est traditionnelle : 2 roues motrices et moteur à l’arrière pour optimiser la motricité. Le châssis tubulaire est réalisé en acier aéronautique haute performance et s’habille d’une carrosserie en carbone. Du kevlar renforce les planchers pour prévenir des impacts. Il se combine à la fibre de verre pour protéger le réservoir. Pour équilibrer les masses, le nez de l’auto contient toute la partie refroidissement : radiateurs d’eau, d’huile et de direction assistée.
La voiture a d’abord été travaillée en CFD (Computer Fluid Dynamics, soufflerie virtuelle). Des essais effectués au Castellet l'année dernière ont confirmé le bien-fondé de son dessin. Ils ont aussi permis d’en affiner les détails, notamment en réglant finement l’aileron. En ne coûtant qu’un seul km/h en vitesse de pointe, il apporte 80 kg d’appui à 200 km/h. Mettre plus d’appui obligerait la présence d’un spoiler avant pour empêcher la caisse de cabrer à grande vitesse. En cas de saut et de piqué de nez, c’est également lui qui stabilisera le CR6. Enfin, cet aileron crée une dépression derrière l’auto qui extrait l’air chaud du compartiment moteur.
En course, il faut un maximum de puissance mais aussi beaucoup de couple et une fiabilité sans faille, d’où le choix d’une grosse cylindrée sans turbo. Ce V8 est donc un LS7 de Corvette Z06, un moteur qui a fait ses preuves au Mans en de nombreuses occasions. Il cube 7 litres car… rien ne remplace les centimètres-cube ! Il développe 505 chevaux chez Chevrolet mais avec la bride à l’admission imposée par le Dakar il n’y avait plus "que" 385 chevaux et un peu plus de 70 mkg lors du précédent Dakar. Julien Hardy nous avoue discrètement qu'il y a de la puissance (un peu) et du couple (beaucoup) supplémentaires pour 2021.
Le mouvement du V8 est transmis par une boite Sadev 6 rapports à la sortie de laquelle se trouve bien entendu un -gros- différentiel autobloquant. Vu le couple moteur, il doit d’ailleurs passer le plus clair de son temps en étant "autobloqué" ! L’embrayage tridisque est fourni par AP Racing et résiste à plus de 80 mkg. Contrairement aux 4x4 traditionnels, il n’y a pas de réducteur (pas de boite courte). Mais le système permet de rétrograder à la volée sans débrayer et même en restant pied à la planche…
Il est bien entendu possible d’ouvrir la boite et de changer les rapports de boite en 30 minutes, même si dans la pratique bien peu le font. Dans le cas présent, Mathieu Serradori a choisi pour le Dakar des démultiplications relativement longues. Sa 5ème est plus longue que la 6ème de certains autres pilotes ! Avec la bride de 37mm imposée par le Dakar, ce Century parcourt le 0 à 100 entre 4.5 et 5 secondes (selon l’adhérence…) et pointe à 205 km/h. Ceux qui ont déjà roulé sur piste savent à quel point c’est rapide.
La catégorie 2 roues motrices permet des débattements de roue très importants, 440mm dans le cas du CR6. Il faut souligner que les 4 triangles superposés sont identiques, il n’y a donc qu’un seul modèle de pièce de rechange à emmener durant la course. Notons avec le même esprit pratique qu’un demi-arbre de roue se change en 20 minutes.
Les amortisseurs sont simples à l’avant mais sont bien entendu doublés à l’arrière, répartition des masses oblige. Contrairement aux autres CR6, cet exemplaire est équipé d’amortisseurs Boss. Une demande expresse de Mathieu Serradori qui a nécessité une adaptation. A la clef, des performances qui ont -encore- progressé…
Le règlement 2 roues motrices autorise le (dé)gonflage des pneus en roulant. Sur ce véhicule, 4 boutons préréglés permettent au navigateur d’ajuster facilement la pression des pneus. On appuie sur la valeur voulue et l’on peut se reconcentrer sur la course, le système fait le nécessaire. Mais il y a encore plus fort : lorsqu’on change une roue, le dispositif de gonflage se connecte dès que la jante est en contact avec le moyeu, automatiquement. Le passage de l’air se fait par l’un des triangles puis par l’un des rayons de la jante. Le système est d’autant plus complexe qu’à l’arrière il y a les arbres de transmission. Cette technologie est le fruit de 10 ans de développement !
Les jantes sont en 17 pouces et les pneus -BF Goodrich bien entendu- sont des 37 pouces. Les 4 roues sont identiques, ce qui permet de se faciliter pas mal la vie ! Le CR6 embarque 2 roues de secours. Pour les spéciales les plus difficiles, il est possible d’emmener également une roue d’urgence qui vient se glisser à l’arrière, entre la boite et l’échappement.
Ce véhicule de rallye-raid dispose bien entendu d’un vérin de chaque côté afin de changer les roues ou de se déplanter rapidement. Ces deux vérins sont alimentés par la pompe de direction assistée et peuvent s’actionner de l’intérieur comme de l’extérieur. Une vanne permet de les mettre hors circuit pour qu’une fuite ne conduise pas à la perte de la DA. Un témoin au tableau de bord permet à la fois de ne pas les oublier et d’être alertés d’un souci pendant le roulage.
La répartition des masses a été spécialement réfléchie. Pour l’exemple, le carburant se répartit entre deux réservoirs longitudinaux de 190 litres chacun, avec deux pompes, deux régulateurs de pression et deux retours. On peut associer ces deux réservoirs ou au contraire les isoler en cas de fuite. Fiabilité maximale ! Ils sont très bas et commencent sous les sièges pour aller jusqu’aux roues arrière. Avec ses 2 roues de secours, le Century pèse 1580 kg et se trouve donc en dessous du poids minimal. Il a donc été lesté : le ski arrière pèse 35 kg…
Parlons consommation. Avant tout, Century Racing rappelle à juste titre que ces consommations ne sont pas excessives pour un tel véhicule. Ames sensibles, ne montrez pas du doigt le CR6, la concurrence ne fait pas mieux. Sautez le paragraphe, même. Il faut compter aux alentours des 50L/100 sur piste, 65L dans le sable et… 75L si vous vous êtes mis dans une situation difficile (un bon vieux Pajero du Dakar faisait aussi ses 50L/100…). Un outil permet de suivre la consommation en temps réel pour gérer l’étape et adapter sa conduite si nécessaire.
Le véhicule étant très large, l’habitacle l’est aussi et cela apporte une sensation plutôt agréable en course. De plus, un très gros travail a été fait sur la climatisation. Celle-ci reste efficace même par 45° à l’extérieur. Cela permet de fortement économiser l’équipage… Surtout, l’habitacle est légèrement pressurisé donc la poussière n’y entre pas. Ceux qui ont déjà roulé en Afrique savent à quel point cela change tout !
Pour les longues liaisons routières (il y en a parfois beaucoup), le CR6 dispose également d’un régulateur de vitesse. Mais ce n’est pas tout puisqu’il s’équipe également d’une caméra de recul. Vu la visibilité arrière et le risque d’accident en cas de manoeuvre dans le feu de l’action, ça n’est finalement pas idiot du tout !
Avec sa huitième place au Dakar lors du dernier Dakar, Mathieu Serradori a autant démontré son potentiel que celui du Century CR6. Une monture particulièrement performante et aboutie qu'il engagera en 3 exemplaires dans quelques jours en Arabie Saoudite…
Texte : Manu Bordonado
Photos : Manu Bordonado & DR