Pour parcourir le monde, il faut un véhicule fiable, habitable et pouvant passer partout. S’il a de la classe et qu’il sort de l’ordinaire, cela ne gâche rien. Guillaume a tout réuni (classe comprise) en ayant décidé de faire du raid avec... une Renault de 1953 !
Au sortir de la guerre, la société des automobiles Louis Renault devient la Régie Nationale des Usines Renault. Pour relancer la production et équiper un maximum de français, la 4cv est lancée. Elle est surnommée motte de beurre en raison de sa couleur : la peinture des premiers exemplaires provient de l’Africa Korps... L’auto est petite et économique mais cela ne suffit pas toujours.
Renault met alors en chantier un véhicule beaucoup plus gros, à destination des colonies et du monde rural. La Colorale, contraction de ces deux mots, a trouvé son nom. Elle sera rustique, simple et devra utiliser de l’éprouvé. En témoigne son moteur à soupapes latérales, dont la conception remonte à l’avant-guerre. 52 chevaux sous le capot.
La Colorale est déclinée en plusieurs carrosseries. La plus courante est une berline familiale baptisée Prairie, mais il y a également d’autres versions plus utilitaires et notamment la Savane au pare-brise ouvrant, à l’arrière tôlé et aux panneaux latéraux bâchés. Guillaume a tenu à conserver un look très proche de l’origine pour la sienne. Les phares additionnels sont d’époque et les clignotants rapportés comme le rétroviseur passager semblent avoir été montés d’origine.
Le manque de puissance est vite apparu, c’est pourquoi la régie Renault décide d’équiper à partir du printemps 1953 la Colorale du moteur apparu sur la Renault Frégate. Celui-ci développait alors 58 chevaux SAE : pas suffisant. Guillaume s’est donc penché (ou plutôt... hissé) sous le capot. Taux de compression augmenté par rabotage de la culasse, admission optimisée, arbre à cames retravaillé, vilebrequin équilibré, gros carburateur de Saviem, allumage électronique spécifique, radiateur de plus forte contenance et échappement latéral. Le moteur développe maintenant en toute fiabilité 87 chevaux au banc, une progression assez spectaculaire. La consommation baisse dans le même temps d’environ 2 L/100. On avait oublié de vous dire que Guillaume est ingénieur motoriste...
Pour les utilisations les plus extrêmes, il existe au catalogue de l’époque une version à 4 roues motrices. Elle est reconnaissable entre mille, en raison de sa rehausse très importante : les ingénieurs ont tout simplement placé les lames sur les ponts plutôt qu’en dessous ! Notre véhicule a une hauteur de 2.18m. Un sacré bébé, vendu à moins de 750 exemplaires, produits à l’origine chez Renault à Boulogne-Billancourt puis sous-traité chez Herwaythorn (Hercules, Wayne & Thornton) en Angleterre. Selon le dernier recensement du club, il ne resterait que 16 véhicules encore roulants. Les Prairie et les Savane auront connu une longue carrière chez les garagistes mais les progrès en performances et en consommation des utilitaires ont signé leur arrêt de mort il y a bien longtemps.
La tenue de route de la Colorale est loin d’être l’une de ses qualités, d’autant plus en version 4x4 en raison de sa hauteur. Comme nous l’avons constaté durant l’essai, on ne choisit pas la trajectoire de sa Colorale. On dirige son véhicule dans une certaine direction et il y va avec une précision toute relative... Les premières versions se passent de tirants de pont et il était donc plus prudent pour ces versions de partir avec un petit stock d’étoquiaux, ces éléments qui maintiennent les lames de suspension.
Les ponts supportent cette puissance sans souci : ce sont les ponts du gros Renault R2087. La boîte non synchronisée à 4 rapports a été entièrement refaite lors de la reconstruction de notre Savane. La transmission 4x4 est conforme à ce que l’on a l’habitude de trouver sur les véhicules d’époque. On a simplement le choix entre boite longue 2 roues motrices (mode routier) et boîte courte 4 roues motrices (mode tout terrain). A défaut de moyeux débrayables, l’heureux propriétaire emmène un jeu de mains meneuses et un autre de simples cabochons. En les changeant (en moins de 10 minutes), il peut effectuer de longs trajets avec le pont avant totalement libéré. Cela lui permet également de descendre les cols en deux roues motrices mais en boîte courte, avec plus de frein moteur car rien n’arrête une Colorale, surtout pas ses freins !
Car Guillaume parcourt le monde en Colorale. Les Alpes n’ont aucun secret pour lui et la Renault a également déjà connu le désert marocain, l’Italie, la Grèce... un voyage en Mongolie est prévu, en compagnie d’une autre Colorale 4x4 rénovée avec le même soin du détail.
Côté pneus, les BF Goodrich Mud en 7.50 R16 sont montés sur des jantes Triangular qui ont été transformées spécialement par le propriétaire pour se monter sur la Colorale. Selon lui, les jantes d'origine étaient déjà ovales en sortant d'usine... Les versions 4x4 disposent d’origine d’un enjoliveur qui masque une partie des ailes. Pour obtenir un look moins lourd, moins pataud, ces éléments n’ont pas été remontés. La roue de secours, normalement placée à l’arrière de l’habitacle, devenait trop envahissante. Son nouvel emplacement se trouve sous le véhicule, en position centrale entre le châssis et l’arbre de transmission. Il restait de la place à cet endroit très peu accessible. Heureusement que l’on crève très peu en BF Goodrich !
A propos de pneus, il ne faut pas hésiter à dégonfler ces derniers pour obtenir un semblant de confort sur piste car la suspension est tellement dure qu’elle pourrait vous faire perdre vos plombages ! Les versions Savane comme la notre profitent de correcteurs à flexibilité variable. Ce système créé par l’ingénieur Grégoire est là pour apporter un confort supplémentaire… On a pourtant bien du mal à imaginer que cela puisse être encore plus ferme que sur ce véhicule d’essai. Les amortisseurs d’origine sont fragiles car trop petits : ils ont donc été remplacés par des modèles plus gros de marque Rancho.
Le poste de conduite est resté dans l’esprit du véhicule d’époque, mais a reçu un certain nombre d’améliorations par Rétro-Méca, l’orfèvre du véhicule ancien basé à Peyrolles en Provence. L’immense boîte à gants centrale a été remplacée par un splendide combiné d’instruments maison. On y trouve température d’eau, compte-tours, pression d’huile, compteur horaire et voltmètre. Quel plaisir d’être parfaitement renseigné sur la mécanique ! Comme dans les voitures les plus modernes, un petit écran juste devant le volant affiche la vitesse précise, au km/h près : il s’agit d’un compteur de vélo adapté au véhicule. Le grand et fin volant à 3 branches étant spécifique aux versions 4x4, il a été conservé. La Colorale est passée de la dynamo 6 volts à l’alternateur 12 volts, ce qui a facilité l’installation de plusieurs appareils comme la CB. Rare entorse à l’origine sur ce véhicule : le pare-brise ouvrant de la Savane a été remplacé par un pare-brise fixe de Prairie, légèrement plus grand en raison d’un cadre plus fin.
Les sièges en velours, essentiels au confort vu la rigueur de la suspension, sont issus d’une ancienne Alfa Romeo et remplacent la banquette 3 places d’origine. Les réglages électriques ont été conservés et constituent la seule touche de luxe du véhicule ! Des ceintures de sécurité, également issus de cette Alfetta, ont pu être montés. Un frigo a été installé entre les deux. L’habitacle est un peu chiche en rangements depuis la transformation de la boîte à gants…
Absent des véhicules d’époque, un radiateur de chauffage a été installé dans l’habitacle. Les durites sont branchées sur la pompe à eau et la plaque de fermeture arrière de culasse. L’ensemble est très efficace ! Un robinet de Renault 8 commande le tout. Le véhicule a été préparé en vue d’une autonomie totale. Ainsi, les bâches de la partie arrière ne sont que décoratives car il y a maintenant des vitres juste derrière. Il faut pouvoir y dormir par tous les temps !
Cette Colorale 4x4 était un véhicule de pompier qui avait malheureusement brûlé. Pour lui redonner vie, les ateliers de Rétro-Méca ont récupéré le châssis, rénové la mécanique, puis sont partis d’une caisse de fourgon vitré pour la transformer en Savane. Il a fallu refaire également le plancher. Celui-ci sera fabriqué à partir d’un pavillon de Renault Trafic ! Le souci du détail est tel que le toit, les portes et les côtés de la caisse ont été revêtus d’isolant bitumé.
Le véhicule est si haut qu’il parait difficile de positionner quelque chose sur sa galerie. Guillaume nous confirme que celle-ci n’a que deux fonctions. La première est purement esthétique. La seconde est d’accueillir un store latéral de marque Fiamma.
L’arrière de la Savane s’ouvre normalement en deux parties, hayon et ridelle. Rétro-Méca a discrètement transformé cela en un immense hayon sur lequel il a ajouté les vérins qui n’existaient pas à l’époque. Ils sont issus d’une Renault Clio. Le hayon s’ouvre très haut : on ne risque pas de se cogner, mais il en devient même difficile à saisir au moment de le refermer, c’est pourquoi une sangle a été ajoutée. On trouve sur la partie gauche de l’intérieur tout le nécessaire de cuisine. S’y trouvent également les réserves d’eau (10 litres) et de gaz. Une prise 12 volts a été ajoutée ici. A droite se trouve en accès direct un extincteur. En cas d’intempérie, la hauteur habitable permet de se dépanner en mangeant à l’intérieur. Une table est rangée dans l’épaisseur du sol, tel un tiroir. Elle est tellement longue que l’on pourrait manger à 4 ou 6 sans aucun souci ! Cette planche se repositionne le soir venu 40 cm plus haut pour constituer le support du lit.
Nous sommes bien loin du véhicule de pompier racheté il y a quelques années. Expertisée 57.000€, cette très belle Colorale 4x4 pourrait être une vraie pièce de musée mais par chance, Guillaume a l’élégance de lui réserver un avenir beaucoup plus excitant...